ÉNERGIE (ÉCONOMIE DE L’)

ÉNERGIE (ÉCONOMIE DE L’)
ÉNERGIE (ÉCONOMIE DE L’)

En octobre 1973, le prix mondial du pétrole brut était multiplié par quatre à la suite d’une décision unilatérale de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (O.P.E.P.). Le premier choc pétrolier déclenchait un mouvement de panique au sein des pays industrialisés, qui réalisaient brusquement à quel point leur activité économique quotidienne dépendait d’une énergie trop souvent importée. Rappelons que le citoyen d’un pays industrialisé consomme chaque année, directement ou indirectement, l’équivalent de 5 à 6 tonnes de pétrole. Depuis cette date, l’économie de l’énergie n’a guère quitté le devant de l’actualité internationale: craintes de pénurie ou d’interruption brutale des approvisionnements; politiques volontaristes d’économies d’énergie; développement plus ou moins rapide et efficace des énergies de substitution, comme le nucléaire, le solaire ou la géothermie; déséquilibre des balances commerciales et recyclage des pétrodollars; interrogations renouvelées sur l’évolution des prix à court et à moyen terme, le pouvoir effectif de l’O.P.E.P., la compétitivité réelle des nouvelles sources d’énergie, les effets sur l’environnement.

Le système énergétique mondial apparaît ainsi comme fortement contraint par des facteurs économiques et financiers, mais aussi géologiques, technologiques, géopolitiques et environnementaux. L’économie de l’énergie s’articule autour de quelques éléments majeurs: des ressources inégalement réparties sur la planète; une multitude de filières technologiques en concurrence les unes avec les autres; des acteurs – les pays exportateurs d’énergie, les grandes compagnies, les pays importateurs – poursuivant des intérêts souvent conflictuels; enfin, des marchés et des prix.

1. Les ressources énergétiques

Les ressources énergétiques de la planète se présentent sous deux formes différentes: énergies renouvelables (énergies de flux) et énergies épuisables (énergies de stock). Plus de 90 p. 100 des consommations commerciales d’énergie sont assurées par les énergies épuisables.

Les énergies renouvelables sont pour l’instant très sous-utilisées; les grandes potentialités hydrauliques, solaires et bioénergétiques de la planète sont situées dans des zones de faible activité économique et la nature même de ces énergies les rend difficilement transportables.

Les énergies non renouvelables (pétrole, gaz, charbon, uranium) existent en quantités limitées. Lorsqu’on brûle une tonne de charbon, on diminue irrémédiablement d’une tonne les réserves mondiales.

La prédominance des énergies épuisables dans le bilan énergétique mondial pose le problème de leur durabilité: pendant combien de temps pourront-elles encore alimenter la demande internationale?

Les réserves d’énergies fossiles (hors uranium) sont estimées à environ 1 000 milliards de tonnes d’équivalent pétrole, réparties entre charbon (75 p. 100), pétrole (13 p. 100), gaz naturel (12 p. 100). Les réserves mondiales de charbon sont donc six fois supérieures à celles de pétrole ou de gaz naturel. Ces pourcentages sont très différents des parts de chaque énergie dans les consommations: pétrole 44 p. 100, charbon 31 p. 100, gaz naturel 25 p. 100. Comparés aux volumes de production annuelle, les montants des réserves laisseraient à penser que nous avons encore du pétrole pour une quarantaine d’années, du gaz naturel pour une soixantaine et du charbon pour quatre siècles. Ces ratios sont trompeurs, pour deux raisons au moins:

– D’abord, si les réserves de charbon sont relativement bien connues, il n’en est pas de même des réserves de pétrole et de gaz. Un certain nombre de bassins sédimentaires situés dans des zones d’accès difficile n’ont fait l’objet d’aucune recherche et ces zones pourraient contenir d’importantes réserves. Les ressources actuelles de pétrole et de gaz seront donc augmentées par de nouvelles découvertes. Lorsqu’on regarde le passé, le ratio réserve de pétrole/production annuelle était de seize ans en 1939, de quarante ans en 1960, de trente en 1980.

– Ensuite, l’estimation des réserves récupérables se fait aux conditions économiques du moment. Si les prix montent, les volumes récupérables augmentent. Dans une perspective à long terme, on peut penser que, au fur et à mesure que l’on puisera dans le stock fini des énergies épuisables, le coût de production augmentera et rejoindra progressivement le niveau auquel les énergies renouvelables deviendront durablement et massivement compétitives. Le prix d’une énergie est ainsi limité, à la hausse, par le coût en développement des énergies de substitution.

Les ressources énergétiques de la planète sont assez inégalement réparties: 77 p. 100 des réserves pétrolières et 39 p. 100 des ressources gazières se trouvent dans les pays de l’O.P.E.P. Cinq pays – les États-Unis, l’ex-U.R.S.S., la Chine, l’Australie et l’Afrique du Sud – détiennent près des trois quarts des réserves mondiales de charbon. Cette répartition a donné naissance à un commerce international de l’énergie qui compte pour environ 15 p. 100 du commerce mondial.

Malgré les incertitudes géologiques et économique qui pèsent sur le volume des réserves récupérables, on peut dire que le pétrole, le gaz naturel et le charbon resteront encore pour longtemps (au moins jusque vers 2020) les trois grandes énergies primaires dominantes, couvrant plus de 80 p. 100 de nos besoins. En effet, les potentialités économiques des autres énergies paraissent pour l’instant très limitées: les sites hydrauliques non équipés sont mal situés, les énergies renouvelables sont chères et difficiles à financer, le développement de l’énergie nucléaire concerne un petit nombre de pays et se heurte à une opposition croissante depuis l’accident de Tchernobyl, en 1986.

La domination durable du pétrole, du gaz et du charbon ne pourrait être remise en cause que par des bouleversements politiques majeurs dans les principales zones d’exportation ou par des catastrophes écologiques de nature à condamner l’une de ces énergies.

2. Les filières énergétiques et les espaces concurrentiels

Toute réflexion sur l’économie de l’énergie doit être conduite en termes de besoins. La production, la distribution et la consommation d’énergie n’ont en effet de sens que par rapport à la satisfaction d’un besoin. Ces besoins peuvent être classés en trois grandes catégories: besoins de chaleur (pour le chauffage des locaux et pour l’industrie), besoins de force motrice, besoins d’électricité spécifique (pour l’éclairage, l’équipement électrique et l’électronique).

En abordant le problème sous cet angle, on peut représenter le secteur de l’énergie, du point de vue technico-économique, comme une série de filières technologiques en concurrence les unes avec les autres. Partant de la matière première (énergie primaire) pour aller jusqu’à la satisfaction du besoin final (chaleur, force motrice, éclairage), chaque filière se présente comme un ensemble d’activités articulées entre elles en termes de coûts, de marchés et de technologies. Pour satisfaire un besoin donné, il existe une multitude de filières possibles faisant appel à un grand nombre de techniques différentes (fig. 1).

Prenons par exemple le cas de l’automobile. Une voiture peut fonctionner avec de l’essence, du gazole, de l’alcool (de canne à sucre, de topinambour...), du charbon de bois (gazogène utilisé pendant la Seconde Guerre mondiale), du gaz de pétrole (butane, propane), du gaz naturel, de l’électricité. À partir de ce besoin spécifique, on peut donc remonter à chacune des sources d’énergie physiquement disponibles.

L’analyse de filière permet d’éclairer des choix stratégiques: de grandes firmes pétrolières, verticalement intégrées, ont choisi de maîtriser toutes les étapes de la filière pétrole, depuis l’exploration jusqu’à la distribution. Certaines ont poussé l’intégration en aval jusqu’à la fabrication des bases pétrochimiques ou même jusqu’à la chimie fine. À chacune des étapes de la filière se posent des problèmes d’investissement, de choix stratégiques (faire soi-même ou faire appel à des contractants), de marchés (raffiner soi-même ou bien acheter des produits, revendre du brut, etc.), de prix, d’innovation, de différenciation des produits (lubrifiants).

L’analyse de filière peut aussi se conduire d’aval en amont. Partant du marché final, on peut comparer à court, à moyen ou à long terme la compétitivité de chaque filière. Dans l’industrie du ciment, par exemple, où la composante énergie peut représenter plus de 30 p. 100 du coût de fabrication, on est amené à comparer en permanence les coûts respectifs des thermies gaz, charbon et fioul. De nombreuses cimenteries sont maintenant équipées de chaudières bi- ou triénergie permettant de passer quasi instantanément d’une source d’énergie à une autre en fonction des prix du marché.

Cette comparaison interfilière est à la base ce qu’on appelle le calcul de netback : un industriel n’achètera des thermies pétrole que si leur prix est intéressant par rapport à celui des énergies concurrentes. Partant de ce prix de marché, à un moment donné, un raffineur peut soustraire les différents coûts qu’il supporte: coûts de distribution, de raffinage, de stockage, de transport du pétrole brut jusqu’à la raffinerie. Ce calcul lui permet de déterminer le prix maximal qu’il est disposé à payer au producteur de pétrole brut, de façon que les produits pétroliers soient compétitifs sur le marché final.

L’analyse de filière permet ainsi de décomposer la concurrence interénergétique en faisant apparaître les différents lieux de cette concurrence. Chaque filière est en concurrence avec les autres, non seulement en termes de technologies et de coûts économiques directs, mais aussi en termes de coûts sociaux. Parmi les coûts sociaux des filières énergétiques, les plus préoccupants sont ceux qui concernent la pollution: pollution thermique de l’atmosphère et des fleuves, pluies acides, pollution chimique et radio-active, pollution marine, accidents. Ces pollutions sont coûteuses pour la collectivité; elles le seront sans doute de plus en plus. Elles impliquent que les sociétés humaines soient beaucoup plus vigilantes dans ce domaine. Dans le long terme, la concurrence interénergétique devra prendre en compte de façon plus fine, les coûts sociaux engendrés par chaque filière.

3. Les grands acteurs

21 p. 100 de l’énergie fossile produite dans le monde est exportée. Les marchés mondiaux du pétrole, du gaz, du charbon ou de l’uranium, mais aussi les marchés énergétiques nationaux, sont des espaces d’affrontement où différentes catégories d’acteurs cherchent à défendre leurs positions et à assurer un pouvoir de captation du surplus.

L’industrie pétrolière internationale illustre particulièrement bien une situation de marché qui tient à la fois de la guerre et du jeu.

Les rentes

Cette filière est, en effet, caractérisée par l’existence de rentes qui appartiennent à deux catégories différentes: les rentes différentielles et les rentes de monopole.

Parmi les rentes différentielles, la plus importante est la rente minière générée par des gisements de pétrole dont les coûts de production sont différents; en effet, pour alimenter le marché mondial en pétrole brut, on utilise à la fois du pétrole à bon marché et du pétrole cher: le pétrole du Moyen-Orient a un coût de production de l’ordre de 1 dollar par baril, tandis que celui de la mer du Nord, en zone profonde et difficile, peut atteindre 15 dollars. Cette différence de coût est génératrice d’une rente différentielle en faveur des meilleurs gisements. Parmi les autres rentes différentielles, citons: les rentes de qualité (la densité du pétrole varie d’un gisement à un autre et son raffinage donne donc plus ou moins de produits légers de haute valeur marchande; de même, la présence de soufre dans un pétrole brut oblige à une coûteuse opération de désulfuration); les rentes de positions, que procurent des gisements situés à proximité des lieux de consommation; les rentes d’efficacité, liées à la possession d’une raffinerie particulièrement adaptée aux besoins du marché.

Les rentes de monopole sont d’une autre nature. Elles s’expliquent, soit par le pouvoir de monopole de certains acteurs (les grandes compagnies internationales dans les années trente, l’O.P.E.P. au moment des deux chocs pétroliers), soit par l’existence de marchés captifs: les carburants pétroliers n’ont pas, à court et à moyen terme, de substitut et la demande est donc relativement inélastique au regard des fluctuations des prix.

La conjonction de ces deux catégories de rentes constitue ce qu’on peut appeler le surplus pétrolier. Ce surplus a toujours représenté une masse financière très importante: environ 1 800 milliards de dollars en 1992, soit près de deux fois le P.I.B. français. Il se partage entre les pays producteurs, les pays consommateurs et les grandes compagnies. Dans un pays comme la France, par exemple, les taxes sur les produits pétroliers, illustrant l’existence d’une rente de monopole, représentent environ 10 p. 100 des recettes de l’État.

Ainsi, l’économie mondiale de l’énergie est caractérisée par l’existence de trois grandes catégories d’acteurs: les pays exportateurs d’énergie, les pays importateurs et les compagnies. Aucun de ces groupes ne constitue une entité homogène. À l’intérieur de chacun, on trouve des relations d’opposition ou d’alliance, d’entente ou de concurrence acharnée.

Les pays exportateurs d’énergie

Les pays exportateurs de charbon interviennent assez peu en tant qu’États sur les marchés. Au contraire, les pays exportateurs d’hydrocarbures agissent plus directement, qu’ils soient ou non membres de l’O.P.E.P.

L’Organisation des pays exportateurs de pétrole a été créée en 1960. Elle regroupait douze pays en 1993: Arabie Saoudite, Irak, Iran, Koweït et Venezuela, membres fondateurs, auxquels se sont joints le Qatar (1961), la Libye et l’Indonésie (1962), Abu Dhabi (1967), l’Algérie (1969), le Nigeria (1971), l’Équateur (de 1973 à 1992) et le Gabon (1975).

L’objectif initial des pays membres de l’organisation était d’obtenir une modification des règles de répartition du surplus pétrolier en augmentant la fiscalité des pays producteurs. Entre la création de l’O.P.E.P., en 1960, et le premier choc pétrolier, en 1973, les résultats sont assez minces. Puis, brusquement, le marché pétrolier subit de profondes transformations et les pays de l’O.P.E.P. obtiennent en quelques mois ce qu’ils réclamaient en vain depuis dix ans. À partir de 1973, c’est l’O.P.E.P., et non plus les compagnies internationales, qui détermine unilatéralement le prix du pétrole brut. On entre alors dans une phase de l’histoire du pétrole pendant laquelle on a l’impression qu’il n’existe pas de limite à la hausse du prix du brut. Cette situation culmine avec le deuxième choc pétrolier (1979-1981) qui propulsera le prix du pétrole à plus de 30 dollars par baril.

Ce niveau de prix heurte très brutalement la demande mondiale, dans un contexte économique général assez morose. Les pays de l’O.P.E.P. ne réalisent pas à ce moment qu’un prix limite a été dépassé. Ils cherchent à maintenir le niveau des prix officiels en réduisant leur production. Cette régulation de l’offre est assurée, en principe, par des quotas. Elle est d’autant plus difficile à maintenir que la production hors O.P.E.P. augmente régulièrement et que les pays de l’O.P.E.P., confrontés à une baisse de leur revenus, ne sont pas enclins à respecter les quotas. Cette situation introduit de fortes tensions au sein de l’organisation. La régulation par l’offre est assurée principalement par l’Arabie Saoudite. En août 1985, ce dernier pays remet en question sa fonction traditionnelle de régulation, augmente sa production et cherche à promouvoir une stratégie de part de marché qui amène un effondrement des prix.

Réalisant à la fin de 1986 l’étendue des dégâts provoqués par la baisse des prix, l’O.P.E.P. parvient, difficilement, à un accord de stabilisation des prix et des volumes en décembre 1986. Cette période de volatilité des prix démontre que la cohésion de l’organisation dépend très étroitement de la conjoncture économique mondiale et du rapport qui existe, à la marge, entre les exportations en provenance de l’O.P.E.P. et celles des pays non adhérents à cette organisation.

Les années 1970, en effet, ont été marquées par l’apparition ou la montée en puissance de nouveaux pays exportateurs de pétrole n’appartenant pas à l’O.P.E.P. et n’ayant pas l’intention d’y adhérer: Royaume-Uni, Norvège, Mexique, Tunisie, Égypte, Congo, Cameroun, Malaisie. Il convient d’ajouter l’ex-U.R.S.S. et la Chine. Il s’agit d’un groupe hétérogène de pays dont les intérêts sont parfois divergents et parfois convergents avec ceux de l’O.P.E.P. La montée en production de ce groupe de pays a remis en cause la part de marché de l’O.P.E.P., obligeant l’organisation à réduire sa production.

Le rôle de l’O.P.E.P. en tant que responsable unique du prix du pétrole est ainsi remis en cause. Toutefois la position dominante de l’Arabie Saoudite demeure une donnée majeure du marché pétrolier. C’est, en effet, le seul pays qui dispose d’une très forte élasticité d’offre sur des quantités importantes de pétrole.

Les grandes compagnies de l’énergie

La production, la transformation et l’utilisation de l’énergie, sur une base commerciale, ont donné naissance à une industrie internationale de l’énergie complexe et diversifiée; producteurs de charbon, électriciens, compagnies gazières, compagnies pétrolières. Ces entreprises, publiques ou privées, sont plus ou moins spécialisées, plus ou moins verticalement intégrées. Elles opèrent sur un marché qui peut être local, national, continental ou mondial.

Les producteurs de charbon ont alimenté la croissance des grands pays industriels jusque vers le milieu du XXe siècle. Historiquement, ces entreprises se bornaient à produire du charbon pour les besoins locaux. La résistance à la concurrence des produits pétroliers a été d’autant plus difficile que cette industrie à fort contenu de main-d’œuvre était un symbole social. Cela a amené, dans bien des cas, une forte intervention de l’État en vue de soutenir une production économiquement condamnée, mais socialement sensible (Allemagne, Royaume-Uni, France, Belgique).

Les entreprises électriques et gazières opèrent dans le cadre de ce qu’on appelle les monopoles naturels: en effet, le transport et la distribution de gaz et d’électricité se font à travers des réseaux dont chacun doit disposer d’une certaine exclusivité territoriale. Ces entreprises se sont donc développées sur une base locale (États-Unis, Allemagne, Japon) ou sous un régime de monopole national avec, dans bien des cas, des entreprises publiques (France, Italie, Royaume-Uni avant la privatisation du gaz et de l’électricité, de très nombreux pays en développement). Ces activités offrent ainsi une large variété de modèles d’organisation, depuis l’entreprise privée ou publique verticalement intégrée jusqu’aux entreprises municipales de distribution mono- ou multiénergie. Ces différents modèles ont été vivement discutés, critiqués ou remis en cause, depuis le milieu des années quatre-vingt, dans le cadre des débats sur la réglementation-déréglementation et la privatisation.

Les compagnies pétrolières se sont développées sur une base nécessairement beaucoup plus internationale, compte tenu de la répartition des ressources. Les premières ont été les «sept sœurs», qui ont dominé la scène pétrolière internationale jusque vers 1955: Standard Oil of New Jersey (aujourd’hui Exxon), Shell, B.P., Mobil Oil, Standard Oil of California (aujourd’hui Chevron), Gulf Oil et Texaco. Puis vinrent des compagnies publiques créées dans le but de soustraire les États à la domination des multinationales (Compagnie française des pétroles [aujourd’hui Total], Elf-Aquitaine, E.N.I.). Elles ont été rejointes, depuis les années soixante-dix, par des compagnies d’État des principaux pays producteurs.

Parmi ces entreprises, et dans un espace énergétique qui s’internationalise fortement, il convient de faire une place à part à quelques acteurs particulièrement puissants, les grandes compagnies de l’énergie , qui occupent une position stratégique sur la scène énergétique mondiale en raison de leurs caractéristiques particulières:

– elles sont multinationales, avec une forte implantation sur le marché américain, qui demeure le plus vaste marché énergétique du monde;

– elles sont fortement présentes dans les trois grandes énergies dominantes, pétrole, gaz naturel et charbon; c’est cette diversification, mesurée, qui leur confère une position stratégique;

– leur activité initiale était la production de pétrole et c’est à partir de là qu’elles sont entrées sur les marchés internationaux du gaz naturel et du charbon;

– elles sont parmi les cinquante plus grandes firmes industrielles du monde.

Ces compagnies ont compris un certain nombre de principes stratégiques simples; elles ont compris que la production pétrolière intégrée restait la meilleure carte et la plus rentable, qu’il fallait être présent dans le charbon, compte tenu de l’immensité des réserves, que le gaz naturel devait être développé au rythme de la demande; elles ont compris que c’était par le commerce du brut et des produits, par la transformation planifiée des produits lourds en produits légers qu’on pouvait contrôler une filière qui se régulait non plus au niveau des puits, mais à celui des marchés.

Ces compagnies ont les moyens financiers de leurs stratégies: entre le développement progressif du marché mondial du charbon et la fabrication de carburants de synthèse à partir du charbon ou des schistes bitumineux, elles peuvent faire face aux aléas d’une croissance économique et d’une conjoncture internationale incertaines. Les atouts majeurs dont elles disposent sont d’être massivement impliquées technologiquement, financièrement et commercialement dans les trois énergies dominantes des cinquante prochaines années.

Les pays importateurs d’énergie

La vulnérabilité des pays importateurs d’énergie a été mise en lumière au moment du premier choc pétrolier de 1973-1974. Celui-ci a révélé l’existence d’un certain nombre de dépendances: dépendance par rapport à une source dominante, le pétrole, qui représentait 46 p. 100 de la consommation mondiale d’énergie en 1973; dépendance envers les pays de l’O.P.E.P., qui produisaient cette année plus de 53 p. 100 du pétrole consommé dans le monde; dépendance envers des énergies importées, qui pesaient assez lourdement dans les échanges extérieurs.

Face à cette situation, les principaux pays importateurs ont essayé, depuis le premier choc pétrolier, de desserrer leurs contraintes énergétiques en utilisant au mieux leurs atouts (cf. tableau). La définition d’une véritable politique de l’énergie repose sur quatre axes majeurs: meilleure connaissance des flux, organisation efficace du secteur, action sur la demande, action sur l’offre.

La connaissance des flux

L’augmentation du prix du pétrole a obligé les entreprises et les États à regarder de plus près la structure de leurs consommations énergétiques. Les lois de la thermodynamique entraînent inévitablement des pertes entre l’énergie disponible et l’énergie effectivement utilisée; il reste cependant une marge de liberté pour améliorer l’efficacité des modes d’utilisation. En France, en 1973, environ 43 p. 100 de l’énergie primaire entrant dans le système était effectivement utilisée; le reste représentait les pertes – dont une grande partie demeure inévitable.

La bonne connaissance du système énergétique passe par la construction d’un bilan énergétique, qui est une décomposition, par source d’énergie et par utilisation, de la consommation totale d’énergie. Lorsque les consommations sont connues avec précision, on peut identifier les principaux lieux d’inefficacité; on peut aussi essayer de prévoir l’évolution de la demande d’énergie ou, au moins, de construire différents scénarios qui reflètent l’évolution possible de la demande.

L’organisation du secteur

Certains pays ont choisi de donner une place prépondérante aux entreprises publiques (France, Italie). D’autres ont, au contraire, maintenu des structures privées (États-Unis, Allemagne, Japon).

La distribution par des réseaux (gaz, électricité) pose le problème du choix d’un mode de régulation: monopole public (E.D.F.-G.D.F.), contrôle des tarifs (British Gas, privatisée en 1987) ou des profits.

L’action sur la demande

L’action sur la demande d’énergie peut obéir à plusieurs motivations: diriger la demande vers certaines filières, décourager certaines utilisations, favoriser les économies d’énergie et les utilisations rationnelles de l’énergie, faire payer aux usagers les coûts sociaux de chaque filière.

Les principaux moyens dont dispose l’État sont la réglementation (normes d’isolation, de régulation, de température, d’efficience, de rendement), les prix et la fiscalité, les modes de financement privilégiés (pour les actions de rationalisation de consommation) et l’orientation des comportements (éducation, publicité). Dans le cas de la France, où une politique volontariste d’économies d’énergie a été menée dès le premier choc pétrolier, on estime que 30 millions de tonnes d’équivalent pétrole ont été économisées entre 1973 et 1990

L’action sur l’offre

L’action sur l’offre d’énergie vise à favoriser le développement de nouvelles filières ou de nouvelles sources d’approvisionnement, qui assurent à la fois compétitivité et sécurité. En France, l’action sur l’offre a été focalisée sur le développement de l’énergie nucléaire (fig. 2). Dans le bilan énergétique français, la part du nucléaire passe ainsi de 3 à 30 p. 100 entre 1973 et 1990, tandis que celle du pétrole régresse de 66 à 44 p. 100. La France est le seul pays au monde à avoir aussi massivement misé sur le nucléaire, dont la part dans le bilan mondial se situe aux alentours de 6 p. 100.

4. Les marchés et les prix

Les marchés internationaux de l’énergie concernent principalement le pétrole et les produits pétroliers, le gaz naturel et le charbon. Il existe aussi un marché étroit de l’uranium et un flux grandissant d’exportations d’électricité. Les interrelations entre ces marchés sont complexes, mais on peut dire que les prix des énergies restent assez fortement influencés par les variations du prix du pétrole.

Les marchés du pétrole

L’effondrement du prix du pétrole en 1986 a accéléré l’éclatement du marché traditionnel du brut. La détermination du prix du pétrole brut se fait de différentes façons: prix officiels de l’O.P.E.P., transactions spot (achats d’une cargaison isolée à un moment et à un prix donnés), accords de troc, prix de netback. Les prix du pétrole brut sont fortement influencés par les prix auxquels s’échangent des quantités croissantes de produits raffinés selon des modes de calcul complexes (market related price formula ). En outre, les prix de marché reflètent les anticipations des marchés à terme de brut et de produits qui se sont développés à New York, à Londres et à Chicago. Sur le New York Mercantile Exchange (Nymex), les transactions à terme de pétrole «papier» concernant la qualité West Texas Intermediate peuvent représenter, en volume, cinquante fois la production réelle de ce brut et plus de deux fois la consommation pétrolière mondiale. Le marché unique du brut a ainsi été remplacé par une multitude de marchés qui rétroagissent les uns sur les autres.

Le marché du charbon

Environ 10 p. 100 de la production mondiale de charbon est exportée. Ce marché international est en croissance rapide, car le développement des ressources charbonnières est indispensable pour assurer l’équilibre énergétique offre-demande. Quatre pays, les États-Unis, le Canada, l’Afrique du Sud et l’Australie assurent 85 p. 100 des exportations. Du côté de la demande, les principaux acheteurs sont les compagnies d’électricité et les industriels ouest-européens et japonais.

Avec peu d’acheteurs et peu de vendeurs, le marché international du charbon peut être considéré comme un oligopole bilatéral. Les importateurs cherchent à diversifier leurs approvisionnements, ce qui empêche les prix de s’aligner sur les coûts d’un charbon particulier. Les courants d’exportation sont généralement fondés sur des relations bilatérales entre, d’une part, l’offreur qui développe la mine et, d’autre part, l’acheteur qui s’engage à acquérir un certain volume de charbon sur une période assez longue. Compte tenu des caractéristiques spécifiques du charbon, combustible solide nécessitant des manutentions polluantes et coûteuses, le prix de la thermie charbon est sensiblement plus faible que celui de la thermie pétrole.

Les marchés du gaz naturel

Comme pour le pétrole, mais à un moindre degré, on observe une disparité entre zones de réserves et zones de grosse consommation. Les pays industrialisés sont «courts en réserves», tandis que les pays de l’O.P.E.P. et l’ex-U.R.S.S. sont «longs en réserves». Dans cette situation, les échanges internationaux de gaz se développent rapidement, même s’ils ne portent encore que sur 15 p. 100 de la production mondiale.

Le marché mondial du gaz, relativement récent, n’est pas encore unifié; il existe en réalité trois zones d’échange qui correspondent à des niveaux de prix différents:

– la zone Amérique du Nord (États-Unis, Canada, Mexique);

– la zone Europe occidentale - ex-U.R.S.S. Afrique du Nord;

– la zone Extrême-Orient - Moyen-Orient.

Les exportations gazières sont généralement régies par des contrats qui stipulent les quantités exportées et le mode de détermination des prix. L’acheteur doit s’engager sur des quantités fermes (clause de take or pay ), car il faut amortir des installations de transport qui sont extrêmement coûteuses (gazoducs ou chaînes de méthaniers avec usines de liquéfaction et de regazéification). Les prix, plus ou moins liés à ceux du pétrole brut, sont de plus en plus fréquemment fixés à partir d’un calcul de netback.

Le principal lieu de rencontre des trois marchés du pétrole, du charbon et du gaz naturel concerne la production d’électricité. La technologie des turbines à gaz à cycle combiné se développe rapidement dans le monde pour la production d’électricité. Très efficace énergétiquement, peu polluante, elle est en concurrence avec les technologies propres de combustion du fioul et du charbon. Les contraintes d’environnement demeurent l’un des principaux facteurs d’arbitrage pour le développement des trois grandes énergies dominantes.

L’économie de l’énergie est marquée par des asymétries dynamiques: hétérogénéité des coûts de production et des coûts sociaux, inégale dimension des acteurs, évolution non linéaire des compétitivités des filières. Face aux incertitutdes économiques, technologiques, géopolitiques qui caractérisent le secteur, il convient d’adopter vis-à-vis des problèmes de l’énergie une attitude visant à promouvoir la diversification et la flexibilité.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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